lundi 28 juillet 2014

Erdogan et le TGV turc

La bonne nouvelle, c'est que la Turquie continue sa modernisation. Le Premier ministre turc Erdogan vient d'inaugurer la ligne à grande vitesse Ankara-Istambul.

La mauvaise nouvelle c'est que Erdogan est décidément en mode grandiloquent, paranoïaque, "eux contre nous" :
"Nous avions fait une promesse.  Nous avons travaillé dur. Nous avons traversé les montagnes, passé les rivières", a dit M. Erdogan à un meeting de campagne dans la ville d'Eskisehir. "Malgré toutes les tentatives de sabotage, de blocage et de ralentissement, nous avons complété la ligne et nous l'avons ouverte au trafic aujourd'hui."
 Sabotage, quand tu nous tiens...

dimanche 20 juillet 2014

Le Bio, le Bon et le Vrai



La tendance bio / « organic and local » m'a fait beaucoup cogiter ces derniers temps.

Je prends ici la définition de l’agriculture « bio » comme une agriculture refusant les molécules issues de la chimie de synthèse. Par ailleurs cette agriculture tend à privilégier des produits locaux, elle est liée à des préoccupations diététiques, environnementales et éthiques.

J'ai été agréablement surpris par les produits bio. Aujourd'hui, concrètement, le bio c'est souvent des produits souvent plus sains, plus variés et de meilleure qualité que le reste, souvent plus chers aussi. Pas toujours : on trouve des fruits et légumes bio assez pathétiques et décourageants. Mais dans l'ensemble le bio enrichit et diversifie notre alimentation.  [NDLR: ma compagne m'informe qu'elle a arrêté d'acheter des fruits et légumes bio, trop souvent moches et rachitiques. Elle achète chez un producteur local qui y va mollo sur les produits chimiques, mais pas bio.]

Dans nos sociétés développées, le bio est à la mode pour de bonnes raisons, et d’autres moins bonnes, mais j’y viendrai. Pour moi, concrètement, c'est un label de qualité, une forme de luxe. De bons produits, variés, sains. Le bio est souvent lié à des préoccupations diététiques et environnementales légitimes. C'est en partie une réaction de bon sens à une agriculture industrielle sans doute trop productiviste, qui a privilégié la quantité et la commodité par rapport à la qualité (grosses fraises pleines d’eau ; tomates dures et fades plus faciles à transporter ; utilisation excessive de produits toxiques pour les agriculteurs et parfois néfastes pour la population, comme les hormones aux US). Ca avait du sens, mais maintenant tout le monde a largement de quoi manger et nos priorités évoluent.
 
J'ai quand même plusieurs réserves:

(1) Tout d'abord je me méfie de l’égalité "bio = bon", même si effectivement, souvent, c’est le cas.
(2) Je trouve que le "bio" est une solution trop radicale et simpliste aux problèmes de l’agriculture mondiale.
(3) J’ai peur que le « bio » soit l'arbre qui cache la forêt, une solution agricole à des problèmes politiques et sociaux.
(4) Enfin, le bio est lié à tout un courant irrationnel.

1. Bio c’est bon ?

Je commence par une remarque de bon sens venant de quelqu’un (moi) qui a de mauvaises habitudes alimentaires : un repas à base de tomates, de concombres et de riz issus de l’agriculture intensive vaut toujours mieux qu’un hypothétique repas de frites et du sirop d’érable « bio ».

Je m’empresse d’ajouter que le « bio » est souvent lié au désir d’une alimentation plus saine et équilibrée. Bio, goût et diététique vont souvent de pair. De bons légumes bio donnent envie de manger des légumes. Rien à dire, c’est une bonne chose.

Il n’en reste pas moins que bio et diététique ne sont pas identiques. Bio ou pas, je privilégie la diététique et le bon sens (même si ma goinfrerie est trop souvent plus forte que mon bon sens, hélas). Les statistiques sont formelles : naturels ou non, des lipides et glucides en excès auront plus probablement ma peau que les composés de synthèse dont on peut trouver quelques traces dans les aliments.

J’ai fait mon malin en évoquant la merde de vache, mais il y a déjà eu en Allemagne au moins un cas célèbre de produits bio contaminés par des bouses. Des gens en sont morts. Dans les pays moins développés, bien sûr, beaucoup de gens meurent de toxines et d’empoisonnement « naturels » (bactéries dans l’eau et autres méchantes bestioles). L’absence de produits « chimiques » (synthétisés par l’homme) n’est pas en soi une garantie de bonne santé. Notre eau chlorée ne tue pas, contrairement à l’eau des rivières de bien des pays très peu industrialisés.

2. Une solution simpliste ?

Certains partisans du « bio » en font une solution globale aux problèmes de l’agriculture mondiale, que ce soit dans les pays riches ou pauvres. Je ne pense pas qu’on doive faire du bio une panacée universelle, une solution « one size fits all ». Pas du tout d'engrais, pas du tout de pesticides, ça me paraît pour le moins excessif.  Ca n’est pas une solution unique ou même prioritaire aux problèmes actuels de l’agriculture mondiale. 

Au XXè siècle les engrais artificiels ont permis de nourrir le monde (synthèse de l’ammoniac par Fritz Haber, 1909). Un tiers des atomes d'azote dans notre corps viendrait des engrais de synthèse. Ceci ne signifie pas qu'on doive jurer allégeance à cette technologie ! Mais sans être spécialiste, je ne pense pas qu'on puisse remplacer un tiers de l'azote dans les plantes cultivées par des sources "naturelles". A mon sens, dire qu'on va pouvoir nourrir le monde sans engrais et pesticides artificiels est quasiment aussi cinglé que dire qu'on va réduire le chômage et satisfaire la demande en fabriquant à la main ordinateurs et smartphones à partir de produits naturels. J’exagère un peu mais tu vois l’idée.

Après-guerre, la "révolution verte", c'est-à-dire l'intensification de l'agriculture dans les pays en voie de développement, a contribué à nourrir une population en pleine explosion. Bien sûr ces évolutions majeures ont eu des effets complexes, négatifs et positifs. Mais globalement cela a permis de nourrir tout le monde. Ceci dit, aujourd’hui et peut-être hier aussi, les famines ne sont pas causées par des facteurs technologiques mais par des facteurs politiques et sociaux qu'on ne peut pas résoudre simplement par la technologie (ou son rejet). En tout cas, oui, le terme "vert" était employé à l'époque, ça n'était pas encore synonyme de "nostalgie pour le Moyen-Age".
http://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9volution_verte

En France, aux USA, je pense que l'agriculture pourrait utiliser bien moins d'engrais et bien moins de pesticides toxiques sans pour autant se les interdire complètement. Encore faut-il que le radicalisme bio ne conduise pas à négliger des efforts plus modestes mais peut-être plus réalistes, plus généralisables.

Concernant les pays moins développés : à mon avis le bio n'est pas la première priorité de l'Afrique par exemple. Les problèmes de l'Afrique sont plus politiques qu'agricoles ; il faudrait sans doute y remettre en cause les grandes plantations, restructurer éventuellement l'agriculture. Ceci dit, il me semble qu’aujourd’hui les petits agriculteurs y ont plutôt pas assez d'engrais que trop, si bien qu'ils s'échinent pour produire pas grand-chose. On me dira : ça crée de l'emploi. Un économiste classique rétorquera que si les petits agriculteurs s'échinaient moins dans leurs champs et produisaient plus, ils auraient peut-être un peu plus de temps et d’argent pour s'éduquer, inventer d'autres métiers, produire autre chose, s’enrichir et enrichir le pays. Peut-être… En Europe en tout cas, la révolution agricole a précédé et accompagné la révolution industrielle.
 
De même, pour la production locale, s'il est vrai qu'une agriculture trop spécialisée a des conséquences très négatives, les économistes classiques n'ont pas non plus complètement tort quand ils considèrent qu'importer des produits y compris alimentaires est parfois mieux pour un pays (meilleurs produits moins chers) que produire à tout prix dans un climat pas adapté. De même que le bio n'est pas la panacée, de même la production locale ne doit pas être une obligation, il faut trouver un équilibre raisonnable entre autonomie alimentaire, variété et bon sens économique. On ne va pas s'interdire les bananes et les ananas, n'est-ce pas ? La variété, c'est aussi des produits non locaux. Exemple plus criant encore : il y a vingt ans, ma compagne sibérienne ne mangeait pas de fruits l'hiver et a souffert de carences. L'ouverture aux importations semble avoir résolu le problème pour les jeunes générations actuelles.

3. Une démission face aux problèmes politiques et sociaux ?

Le caractère radical du bio vient peut-être d'un manque de confiance envers les institutions politiques et les normes édictées par l’Etat : c'est évidemment plus simple d'interdire tout engrais et tout pesticide que de vérifier tout, de s’inquiéter sans fin des niveaux et composés acceptables et de la bonne adaptation des règlementations, en se demandant si les lobbies agro-alimentaires ne réduisent pas à néant les normes proposées. 
  
Jusqu'où doit aller le principe de précaution ? Faut-il tout interdire ? Je crois à la négociation, au dialogue scientifique et social, aux normes imposées par l'Etat ou par un organisme impartial. Si l'Etat ou l'organisme normatif ne sont pas impartiaux, on a un problème politique ; la solution est politique, il faut se battre pour un Etat juste et soucieux du bien-être de ses administrés. On peut s'attrister du fait que le "bio" se substitue en un sens aux normes sanitaires et de qualité ; on peut y voir la création d'une bouffe à deux vitesses, "bio" pour les riches et saletés pour les autres. En soi, là encore, ce n’est pas un argument contre le bio ; là encore c’est un argument contre le bio en tant que panacée.

4. Des bases irrationnelles

Le bio séduit parce qu’il renvoie à une idée de « pureté » de la nature, non souillée par la technologie. Mais la nature est constituée d’atomes, d’ions et de molécules, la biologie est chimique dans son essence, c’est un des acquis importants de la science d’avoir prouvé que ce qui fait pousser les plantes et bouger les bestioles et les hommes n’est pas un « principe vital » indépendant de la matière. Le mot "chimie" n'est pas un gros mot. Il est irrationnel et arbitraire de penser qu’une molécule synthétisée par l’homme sera forcément, intrinsèquement plus mauvaise qu’une molécule synthétisée par la nature.

Il existe toute une nébuleuse de mouvances irrationnelles qui tendent à vénérer Dame Nature comme une entité purement bénéfique et soucieuse de notre bien-être qu'il suffirait d'écouter pour être heureux. Soyons honnêtes : entre le tétanos, la mouche tsé-tsé, la rage et le choléra, la nature est une salope dont l'humanité a eu beaucoup a souffrir. Nous sommes les enfants gâtés et ingrats de la modernité, et nous avons tendance à oublier ce qu’elle nous a apporté. On est souvent dans la pensée magique. Une de mes amies, très bourgeoise, très bio, végétarienne, amoureuse de stages dans la nature sauvage bénéfique, a fini par se persuader qu'elle peut reprogrammer son ADN par la volonté. J'ai aussi un ami dans la même veine "nature spirituelle et spiritualité de la nature", mais tout va bien, quand il part voir des chamans en Amazonie il se fait vacciner. Spirituel, mais pas stupide !

J’ajoute que ce mouvement « spirituel mais pas religieux » a un côté plus individualiste par rapport aux religions traditionnelles. Le catholicisme avait au moins le mérite d’enjoindre (parfois) à l’amour d’autrui, à la solidarité avec les pauvres, tandis que les « spirituels non religieux » tendent à être plus exclusivement centrés sur leur développement personnel. Au moins ces individualistes autocentrés ne sont pas occupés à dresser des bûchers pour les hérétiques ! C'est l'aspect positif et sympathique de l'individualisme moderne. Mais cette tendance rejoint un peu mes inquiétudes sur le bio comme substitut à une politique de santé décente, ou encore les polémiques sur les géants de la Silicon Valley qui semblent pafois s’imaginer qu’on peut résoudre tous les problèmes sociaux avec des solutions techniques. Nous ne croyons peut-être plus suffisamment au collectif.

Personnellement je considère que ce que la plupart des gens appellent "spiritualité" c'est un peu les habits neufs de l'empereur, comme dans le conte d’Andersen, ces habits magnifiques et magiques que seuls les sages peuvent voir. La science nous met à poil, ça n'est pas très flatteur. A un moment, il faut avoir le courage d'admettre qu'on est nu. C’est peut-être le premier pas vers une vie de l’esprit moderne.

Conclusion : Bio c’est bien ?

Je concluerai en évoquant un aspect qui accompagne souvent des phénomènes irrationnels, en l’occurrence la moralisation de la question : si on croit que Dame Nature est foncièrement bonne et vaut mieux que le méchant Fritz Haber, la tentation peut exister de décreter que le bio, c’est le bien, que c’est forcément mieux que l’agriculture industrielle, et de poser le problème en noir et blanc, considérant que les adversaires du bio sont forcément vendus aux lobbies par exemple. Ce qui court-circuite un peu le débat…