lundi 28 juillet 2014

Erdogan et le TGV turc

La bonne nouvelle, c'est que la Turquie continue sa modernisation. Le Premier ministre turc Erdogan vient d'inaugurer la ligne à grande vitesse Ankara-Istambul.

La mauvaise nouvelle c'est que Erdogan est décidément en mode grandiloquent, paranoïaque, "eux contre nous" :
"Nous avions fait une promesse.  Nous avons travaillé dur. Nous avons traversé les montagnes, passé les rivières", a dit M. Erdogan à un meeting de campagne dans la ville d'Eskisehir. "Malgré toutes les tentatives de sabotage, de blocage et de ralentissement, nous avons complété la ligne et nous l'avons ouverte au trafic aujourd'hui."
 Sabotage, quand tu nous tiens...

dimanche 20 juillet 2014

Le Bio, le Bon et le Vrai



La tendance bio / « organic and local » m'a fait beaucoup cogiter ces derniers temps.

Je prends ici la définition de l’agriculture « bio » comme une agriculture refusant les molécules issues de la chimie de synthèse. Par ailleurs cette agriculture tend à privilégier des produits locaux, elle est liée à des préoccupations diététiques, environnementales et éthiques.

J'ai été agréablement surpris par les produits bio. Aujourd'hui, concrètement, le bio c'est souvent des produits souvent plus sains, plus variés et de meilleure qualité que le reste, souvent plus chers aussi. Pas toujours : on trouve des fruits et légumes bio assez pathétiques et décourageants. Mais dans l'ensemble le bio enrichit et diversifie notre alimentation.  [NDLR: ma compagne m'informe qu'elle a arrêté d'acheter des fruits et légumes bio, trop souvent moches et rachitiques. Elle achète chez un producteur local qui y va mollo sur les produits chimiques, mais pas bio.]

Dans nos sociétés développées, le bio est à la mode pour de bonnes raisons, et d’autres moins bonnes, mais j’y viendrai. Pour moi, concrètement, c'est un label de qualité, une forme de luxe. De bons produits, variés, sains. Le bio est souvent lié à des préoccupations diététiques et environnementales légitimes. C'est en partie une réaction de bon sens à une agriculture industrielle sans doute trop productiviste, qui a privilégié la quantité et la commodité par rapport à la qualité (grosses fraises pleines d’eau ; tomates dures et fades plus faciles à transporter ; utilisation excessive de produits toxiques pour les agriculteurs et parfois néfastes pour la population, comme les hormones aux US). Ca avait du sens, mais maintenant tout le monde a largement de quoi manger et nos priorités évoluent.
 
J'ai quand même plusieurs réserves:

(1) Tout d'abord je me méfie de l’égalité "bio = bon", même si effectivement, souvent, c’est le cas.
(2) Je trouve que le "bio" est une solution trop radicale et simpliste aux problèmes de l’agriculture mondiale.
(3) J’ai peur que le « bio » soit l'arbre qui cache la forêt, une solution agricole à des problèmes politiques et sociaux.
(4) Enfin, le bio est lié à tout un courant irrationnel.

1. Bio c’est bon ?

Je commence par une remarque de bon sens venant de quelqu’un (moi) qui a de mauvaises habitudes alimentaires : un repas à base de tomates, de concombres et de riz issus de l’agriculture intensive vaut toujours mieux qu’un hypothétique repas de frites et du sirop d’érable « bio ».

Je m’empresse d’ajouter que le « bio » est souvent lié au désir d’une alimentation plus saine et équilibrée. Bio, goût et diététique vont souvent de pair. De bons légumes bio donnent envie de manger des légumes. Rien à dire, c’est une bonne chose.

Il n’en reste pas moins que bio et diététique ne sont pas identiques. Bio ou pas, je privilégie la diététique et le bon sens (même si ma goinfrerie est trop souvent plus forte que mon bon sens, hélas). Les statistiques sont formelles : naturels ou non, des lipides et glucides en excès auront plus probablement ma peau que les composés de synthèse dont on peut trouver quelques traces dans les aliments.

J’ai fait mon malin en évoquant la merde de vache, mais il y a déjà eu en Allemagne au moins un cas célèbre de produits bio contaminés par des bouses. Des gens en sont morts. Dans les pays moins développés, bien sûr, beaucoup de gens meurent de toxines et d’empoisonnement « naturels » (bactéries dans l’eau et autres méchantes bestioles). L’absence de produits « chimiques » (synthétisés par l’homme) n’est pas en soi une garantie de bonne santé. Notre eau chlorée ne tue pas, contrairement à l’eau des rivières de bien des pays très peu industrialisés.

2. Une solution simpliste ?

Certains partisans du « bio » en font une solution globale aux problèmes de l’agriculture mondiale, que ce soit dans les pays riches ou pauvres. Je ne pense pas qu’on doive faire du bio une panacée universelle, une solution « one size fits all ». Pas du tout d'engrais, pas du tout de pesticides, ça me paraît pour le moins excessif.  Ca n’est pas une solution unique ou même prioritaire aux problèmes actuels de l’agriculture mondiale. 

Au XXè siècle les engrais artificiels ont permis de nourrir le monde (synthèse de l’ammoniac par Fritz Haber, 1909). Un tiers des atomes d'azote dans notre corps viendrait des engrais de synthèse. Ceci ne signifie pas qu'on doive jurer allégeance à cette technologie ! Mais sans être spécialiste, je ne pense pas qu'on puisse remplacer un tiers de l'azote dans les plantes cultivées par des sources "naturelles". A mon sens, dire qu'on va pouvoir nourrir le monde sans engrais et pesticides artificiels est quasiment aussi cinglé que dire qu'on va réduire le chômage et satisfaire la demande en fabriquant à la main ordinateurs et smartphones à partir de produits naturels. J’exagère un peu mais tu vois l’idée.

Après-guerre, la "révolution verte", c'est-à-dire l'intensification de l'agriculture dans les pays en voie de développement, a contribué à nourrir une population en pleine explosion. Bien sûr ces évolutions majeures ont eu des effets complexes, négatifs et positifs. Mais globalement cela a permis de nourrir tout le monde. Ceci dit, aujourd’hui et peut-être hier aussi, les famines ne sont pas causées par des facteurs technologiques mais par des facteurs politiques et sociaux qu'on ne peut pas résoudre simplement par la technologie (ou son rejet). En tout cas, oui, le terme "vert" était employé à l'époque, ça n'était pas encore synonyme de "nostalgie pour le Moyen-Age".
http://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9volution_verte

En France, aux USA, je pense que l'agriculture pourrait utiliser bien moins d'engrais et bien moins de pesticides toxiques sans pour autant se les interdire complètement. Encore faut-il que le radicalisme bio ne conduise pas à négliger des efforts plus modestes mais peut-être plus réalistes, plus généralisables.

Concernant les pays moins développés : à mon avis le bio n'est pas la première priorité de l'Afrique par exemple. Les problèmes de l'Afrique sont plus politiques qu'agricoles ; il faudrait sans doute y remettre en cause les grandes plantations, restructurer éventuellement l'agriculture. Ceci dit, il me semble qu’aujourd’hui les petits agriculteurs y ont plutôt pas assez d'engrais que trop, si bien qu'ils s'échinent pour produire pas grand-chose. On me dira : ça crée de l'emploi. Un économiste classique rétorquera que si les petits agriculteurs s'échinaient moins dans leurs champs et produisaient plus, ils auraient peut-être un peu plus de temps et d’argent pour s'éduquer, inventer d'autres métiers, produire autre chose, s’enrichir et enrichir le pays. Peut-être… En Europe en tout cas, la révolution agricole a précédé et accompagné la révolution industrielle.
 
De même, pour la production locale, s'il est vrai qu'une agriculture trop spécialisée a des conséquences très négatives, les économistes classiques n'ont pas non plus complètement tort quand ils considèrent qu'importer des produits y compris alimentaires est parfois mieux pour un pays (meilleurs produits moins chers) que produire à tout prix dans un climat pas adapté. De même que le bio n'est pas la panacée, de même la production locale ne doit pas être une obligation, il faut trouver un équilibre raisonnable entre autonomie alimentaire, variété et bon sens économique. On ne va pas s'interdire les bananes et les ananas, n'est-ce pas ? La variété, c'est aussi des produits non locaux. Exemple plus criant encore : il y a vingt ans, ma compagne sibérienne ne mangeait pas de fruits l'hiver et a souffert de carences. L'ouverture aux importations semble avoir résolu le problème pour les jeunes générations actuelles.

3. Une démission face aux problèmes politiques et sociaux ?

Le caractère radical du bio vient peut-être d'un manque de confiance envers les institutions politiques et les normes édictées par l’Etat : c'est évidemment plus simple d'interdire tout engrais et tout pesticide que de vérifier tout, de s’inquiéter sans fin des niveaux et composés acceptables et de la bonne adaptation des règlementations, en se demandant si les lobbies agro-alimentaires ne réduisent pas à néant les normes proposées. 
  
Jusqu'où doit aller le principe de précaution ? Faut-il tout interdire ? Je crois à la négociation, au dialogue scientifique et social, aux normes imposées par l'Etat ou par un organisme impartial. Si l'Etat ou l'organisme normatif ne sont pas impartiaux, on a un problème politique ; la solution est politique, il faut se battre pour un Etat juste et soucieux du bien-être de ses administrés. On peut s'attrister du fait que le "bio" se substitue en un sens aux normes sanitaires et de qualité ; on peut y voir la création d'une bouffe à deux vitesses, "bio" pour les riches et saletés pour les autres. En soi, là encore, ce n’est pas un argument contre le bio ; là encore c’est un argument contre le bio en tant que panacée.

4. Des bases irrationnelles

Le bio séduit parce qu’il renvoie à une idée de « pureté » de la nature, non souillée par la technologie. Mais la nature est constituée d’atomes, d’ions et de molécules, la biologie est chimique dans son essence, c’est un des acquis importants de la science d’avoir prouvé que ce qui fait pousser les plantes et bouger les bestioles et les hommes n’est pas un « principe vital » indépendant de la matière. Le mot "chimie" n'est pas un gros mot. Il est irrationnel et arbitraire de penser qu’une molécule synthétisée par l’homme sera forcément, intrinsèquement plus mauvaise qu’une molécule synthétisée par la nature.

Il existe toute une nébuleuse de mouvances irrationnelles qui tendent à vénérer Dame Nature comme une entité purement bénéfique et soucieuse de notre bien-être qu'il suffirait d'écouter pour être heureux. Soyons honnêtes : entre le tétanos, la mouche tsé-tsé, la rage et le choléra, la nature est une salope dont l'humanité a eu beaucoup a souffrir. Nous sommes les enfants gâtés et ingrats de la modernité, et nous avons tendance à oublier ce qu’elle nous a apporté. On est souvent dans la pensée magique. Une de mes amies, très bourgeoise, très bio, végétarienne, amoureuse de stages dans la nature sauvage bénéfique, a fini par se persuader qu'elle peut reprogrammer son ADN par la volonté. J'ai aussi un ami dans la même veine "nature spirituelle et spiritualité de la nature", mais tout va bien, quand il part voir des chamans en Amazonie il se fait vacciner. Spirituel, mais pas stupide !

J’ajoute que ce mouvement « spirituel mais pas religieux » a un côté plus individualiste par rapport aux religions traditionnelles. Le catholicisme avait au moins le mérite d’enjoindre (parfois) à l’amour d’autrui, à la solidarité avec les pauvres, tandis que les « spirituels non religieux » tendent à être plus exclusivement centrés sur leur développement personnel. Au moins ces individualistes autocentrés ne sont pas occupés à dresser des bûchers pour les hérétiques ! C'est l'aspect positif et sympathique de l'individualisme moderne. Mais cette tendance rejoint un peu mes inquiétudes sur le bio comme substitut à une politique de santé décente, ou encore les polémiques sur les géants de la Silicon Valley qui semblent pafois s’imaginer qu’on peut résoudre tous les problèmes sociaux avec des solutions techniques. Nous ne croyons peut-être plus suffisamment au collectif.

Personnellement je considère que ce que la plupart des gens appellent "spiritualité" c'est un peu les habits neufs de l'empereur, comme dans le conte d’Andersen, ces habits magnifiques et magiques que seuls les sages peuvent voir. La science nous met à poil, ça n'est pas très flatteur. A un moment, il faut avoir le courage d'admettre qu'on est nu. C’est peut-être le premier pas vers une vie de l’esprit moderne.

Conclusion : Bio c’est bien ?

Je concluerai en évoquant un aspect qui accompagne souvent des phénomènes irrationnels, en l’occurrence la moralisation de la question : si on croit que Dame Nature est foncièrement bonne et vaut mieux que le méchant Fritz Haber, la tentation peut exister de décreter que le bio, c’est le bien, que c’est forcément mieux que l’agriculture industrielle, et de poser le problème en noir et blanc, considérant que les adversaires du bio sont forcément vendus aux lobbies par exemple. Ce qui court-circuite un peu le débat…

mardi 8 avril 2014

Nostalgie post-soviétique (2/2) : "Il n'y a jamais eu de pays plus anticommuniste que l'URSS"

Ma traduction approximative d'une opinion de Olga Toukhanina, parue dans la "Komsomolskaya Pravda" du 29 mars 2014.

Il n'y a jamais eu de pays plus anticommuniste que l'URSS


Notre chroniqueuse évoque les libertés du passé.
 
Ce que je vais dire est paradoxal. Mais je ne connais pas de pays plus anticommuniste que l'URSS. Sérieusement.
 
Peut-être mon expérience est-elle limitée par ma ville de naissance, bien qu'en URSS les gens aient voyagé chez des amis et des parents plus souvent qu'aujourd'hui. J'ai étudié deux trimestres à Odessa, dans un sanatorium-dispensaire. Concrètement j'ai vécu dans deux villes, Novossibirsk et Oust-Kamennogorsk ; j'avais de la famille en Biélorussie et dans l'Extrême-Orient. Et partout où j'ai vécu, on se moquait des idéaux communistes. Ouvertement, à voix haute. La jeunesse écoutait exclusivement de la musique occidentale. Et un peu plus tard, du rock russe underground. Les gens plus âgés s'enregistraient du Vyssotski. Les cinémas étaient presque autant envahis par Hollywood que maintenant. Des titres oubliés de films oubliés reviennent facilement en mémoire : "L'or des McCain", "La Fièvre de la ligne blanche", "La destruction de l'Atlantide".
 
Nous regardions "Les Trois jours du Condor" avec Robert Redford et Faye Dunaway, nous portions des jeans et nous nous échangions des albums de Pink Floyd.
   
On ne mettait plus les gens en prison pour des blagues. Ni pour de la littérature séditieuse. Dans les listes et les réimpressions se trouvaient des livres qui ont ensuite eu un tirage énorme sous la perestroïka : du célèbre "Archipel" à "Tchonkin" et à "Lolita". Il y en avait pour tous les goûts. Mon mari m'a tout de même dit que dans les années 80 à Novosibirsk il y avait un auteur qu'il voulait lire à l'époque, dont il n'avait pas réussi à trouver un seul livre. C'était, si je m'en souviens bien, Alain Robbe-Grillet. Mais, par exemple, "Moscou - Pétouchki" avait été donné à lire à mon mari par son directeur scientifique. A cette époque il fallait faire des efforts considérables pour être un "vrai dissident". Au maximum, c'était l'expulsion du komsomol et de l'université.
 
Et tout cela arrivait sur fond de propagande communiste totale. Chaque jour, chaque heure. Dans la cuisine la radio marmonnait ; à la fenêtre on voyait constamment les tristes affiches de propagande au nez pelé. Dans les écoles avaient lieu des séances d' "information politique", les entreprises offraient des abonnements à la "Pravda". Mais comment la nation la plus adonnée à la lecture (sérieusement !) aurait-elle pu prendre au sérieux les éditoriaux préformatés, alors que la veille au soir la nation avait lu "Cent ans de solitude" ?
 
La nation était imprégnée d'anticommunisme. Non, il n'y avait pas de haine. Seulement un mépris condescendant. Bien sûr, c'est encore pire. On méprisait les idéaux eux-mêmes, on méprisait ceux qui par obligation les portaient vers les masses. Aujourd'hui dans chaque poche traîne un téléphone mobile, à l'époque dans chaque poche se cachait un doigt d'honneur.
 
Tout le monde était anticommuniste, y compris les communistes eux-mêmes. C'est de la bouche d'un professeur de "communisme scientifique" de notre université que j'ai entendu pour la première fois que le pays allait s'effondrer. C'était une espèce de vieillard ridicule, il s'appelait Ivanov. Un vétéran. Et justement il avait servi au NKVD, ce qu'il ne cachait pas (à qui cela serait-il venu à l'idée alors : cacher de telles choses?) Et donc, en 1985, en cours, il nous annonça tranquillement : encore sept ou huit ans d'une telle politique économique, et nous nous effondrerons. L'auditoire souriait, personne ne le croyait. Ses paroles ont été simplement interprétées comme : il n'y aura plus rien dans les magasins.
 
Tout cela n'empêchait pas d'aimer Cuba, par exemple. Les gens aimaient Cuba. C'était romantique. La nation se percevait elle-même avec  une évidente ironie, mais personne ne dénigrait les réussites réelles. La Victoire [de 1945] restait la Victoire, et Gagarine restait Gagarine. Et ce bien qu'on puisse raconter une bonne histoire à leur sujet aussi. Cela avait quelque chose de sain, de juste.
 
Personne ne se souvenait de Staline. Oui, on voyait ses portraits en Géorgie derrière les pare-brises des automobiles, et des sourds-muets les vendaient dans les trains avec des photographies de beautés inconnues en noir et blanc. Staline, c'était le passé. On connaissait Galitch, mais on ne l'écoutait pratiquement pas. Galitch était "rétro". Dans les blagues, le secrétaire général à moustache revenait bien moins souvent que le secrétaire général aux sourcils [Brejnev].
 
Et puis, la déstalinisation a commencé.
 
Et aujourd'hui faites n'importe quelle enquête de rue sur le thème  : que pensez-vous de Staline ? Et les gens vous répondront positivement. Peut-être pas tous les sondés, mais bien la moitié.
 
On veut Staline. A l'époque nous avions un grande puissance unifiée, les usines fonctionnaient, on construisait des routes. Redonnez-nous tout comme c'était avant. Bien sûr les gens ignorent même parfois où et quand a eu lieu la bataille de Stalingrad. Mais ils veulent Staline. Aujourd'hui c'est un personnage de légende. Avec une blanche couronne de roses.
 
Je ne veux pas discuter maintenant de mon opinion sur Staline. Dans l'ensemble je crois qu'à l'époque tout était compliqué, et Staline lui-même n'a pas grand-chose à voir avec un communiste. Il est plus proche d'un Napoléon. Il a fait un coup d'état contrerévolutionnaire de droite, il a exterminé les bolcheviques, il s'est fait tsar -- certes, sans changement de rhétorique et sans recevoir les insignes impériaux.

Mais ceci est une autre discussion.
 
En tout cas, pour tous ces gens avec Staline dans le cœur, ces messieurs les déstalinisateurs n'ont qu'eux-mêmes à remercier.
 

samedi 5 avril 2014

Nostalgie postsoviétique (1/2): "Je ne vis plus dans un pays conquis"

Traduction hâtive d'une opinion de Ouliana Skoïbeda paru le 25 mars dans "Komsomolskaya Pravda", peut-être le quotidien le plus vendu en Russie.

Je ne vis plus dans un pays conquis

Notre correspondante estime que ce n'est pas la Crimée qui est revenue "à la maison" la semaine dernière. C'est nous qui sommes revenus en URSS.

Quand j'étais petite, j'avais été frappée par une ligne de la biographie de Margaret Mitchell (auteur du roman "Autant en emporte le vent"): "Probablement, les traditions familiales, les impressions de sa jeunesse l'amenèrent aussi à l'étrange idée qu'elle vivait dans un pays conquis." Ceci était écrit au sujet de l'Amérique, des Etats du Sud. Dans la guerre entre le Nord et le Sud, le Nord avait vaincu, et Mitchell, comme vous vous en souvenez, était née dans le Sud.

Cette phrase m'avait marquée, mais je ne pensais pas qu'elle deviendrait prophétique pour moi personnellement. Cela n'est pas arrivé d'un coup, mais après N années, quand moi-même j'ai eu un enfant qui a commencé à grandir. Et à poser des questions :

-- Maman, pourquoi l'Amérique a attaqué la Syrie ?

-- Pourquoi on nous parle tout le temps du cours du dollar ? C'est vraiment important, le cours d'une devise étrangère ?

-- Papa, pourquoi l'URSS s'est effondré ? Tu as vécu en URSS ? Mamie me dit qu'en URSS les entreprises fonctionnaient et il y avait une industrie aérienne, et maintenant...

Il a fallu lui raconter le monde bipolaire, la guerre froide, la cinquième colonne, les causes intérieures et extérieures de l'effondrement du pays où nous étions nés. Et les conséquences de cet effondrement : les guerres et la pauvreté des années 90.

Parler de cela dans un langage accessible à un enfant est difficile, chaque mot appelle de nouvelles questions : "Mais pourquoi le budget de la Russie de Eltsine était validé par le FMI ? Et pourquoi..."

Un jour mon mari, n'en pouvant plus, a hurlé : "Parce que nous avons été conquis !"

Tout s'est mis en place. Le goût désagréable du jus "Zouko" et le bâtiment détruit de l'usine dans la ville où vivent mes parents, les séries américaines à la télévision et le suicide d'un officier connu qui n'avait pas de quoi nourrir sa famille. Toutes ces réalités des années 90.

Bien sûr, à partir de l'an 2000 la vie a changé, et beaucoup, c'est pourquoi nous ajoutions toujours que "ça c'est amélioré depuis", "un nouveau gouvernement est arrivé, qui a commencé à sortir le pays de l'administration étrangère", "la Russie a commencé à compter sur l'arène internationale"...

Et la population à l'intérieur du pays a aussi commencé à compter : voici qu'on nous a même rendu notre hymne. Mais dans l'ensemble, expliquions-nous franchement à notre enfant, l'URSS était perdue à jamais. Une autre forme de propriété, un autre système social, l'absence de censure dans la littérature et l'art, ce qui a permis un déluge de livres enfantins avec des fautes d'orthographe...

Dans l'ensemble, c'était un autre pays. La Russie.

Mais la semaine dernière, en écoutant le discours du président Poutine sur la Crimée, j'ai compris que je me trompais. Bouche bée, serrant mon enfant contre moi, je lui ai dit : "Regarde, mon fils, regarde : tu te souviendras de ça toute ta vie..."

Parce que se lancer dans une confrontation avec le monde entier au nom de sa vérité et ses principes, c'est cela l'URSS.

Et être prêts à vivre dans la pauvreté (parce que les sanctions de la communauté internationale signifient la pauvreté), c'est l'URSS. Quand le peuple entier est prêt à marcher dans des bottes en caoutchouc juste pour sauver la Crimée, quand ne pas abandonner ses frères est plus important qu'avoir trente sortes de saucisson dans le réfrigérateur, quand cette honte de la Perestroïka est enfin terminée et que les gens n'ont pas peur même d'un rideau de fer : les fonctionnaires contre lesquels ont été déclarés des sanctions ont généralement ECLATE DE RIRE, et beaucoup de simples citoyens, en plaisantant, ont exigé qu'on ajoute aussi leurs noms sur la liste...

Qu'ils excluent donc la Russie du G8 : c'est triste, mais c'est précisément ainsi, dans l'isolement, qu'a toujours vécu l'URSS.

D'ailleurs les gens n'étaient pas tristes. Ils écrivaient sur les réseaux sociaux : "Je n'arrive pas à croire que je vis cette époque, que je vois cela..."

Non, je ne connais pas d'autre pays comme celui-ci. Bonjour, Patrie. Comme tu m'as manqué.

Maintenant on comprend mieux beaucoup de choses qui se sont passées dans le pays au cours de cette dernière décennie. Il s'avère que notre armée n'est pas en ruine. Il s'avère que nous avons des services de renseignements : de toute évidence, ceux-ci n'ont pas seulement prévu les événements en Ukraine, ils s'y sont préparés. Par exemple, on a interdit aux fonctionnaires de posséder un business à l'étranger. Nous pensions que c'était de la lutte contre la corruption, mais c'était presque une nécessité militaire...

Ma prise de conscience personnelle concernait aussi les formes de propriété. J'ai souvent entendu dans les discours de Vladimir Poutine que la nationalisation, à laquelle beaucoup rêvent encore actuellement, n'est pas un but en soi : il faut que les moyens de production et d'extraction des ressources naturelles reviennent au peuple sous une forme ou une autre, même sous forme d'impôts.
Mais c'est seulement le jour où j'ai lu [...] l'annonce : "Ruslan Baïsarov, sur l'ordre de Kadyrov, construira en Crimée un lieu de villégiature à 12 milliards de roubles", que le lien s'est fait dans mon cerveau.

Je n'avais pas compris pas pourquoi, pendant toute la décennie passée, les gens riches, comme si on leur faisait du tort, partaient à Londres ou investissaient dans le mouvement de protestation. Mais la réponse était simple.

L'Union soviétique, comme l'oiseau Phénix, est renée de ses cendres...

A la télévision, au meeting en l'honneur du retour de la Crimée, aux informations on a souvent entendu que la presqu'île revenait au pays natal, au port d'attache, à la maison.

Mais ce n'est pas la Crimée qui est revenue. C'est nous qui sommes revenus. Chez nous. En URSS.

jeudi 2 janvier 2014

Dieudo en Iran

Interview en deux parties à la télévision iranienne. Edifiant.