jeudi 19 avril 2012

Sayyid Qutb

Sayyid Qutb (1906-1966), écrivain égyptien, est considéré comme la référence majeure de l'islamisme moderne.

C'est un personnage bien plus intéressant que les savants prédicateurs faiseurs de fatwas. Contemporain de Hassan al-Banna, le fondateur des Frères musulmans, il a rejoint le mouvement seulement après la mort de celui-ci. Il fut connu en tant qu'écrivain avant de devenir une figure majeure de l'islamisme. Il n'avait pas une formation religieuse avancée, et certains l'ont accusé d'avoir une connaissance superficielle de l'islam. Dédaigneux de l'islam traditionnel, il a découvert le Coran d'une façon très personnelle, dans les années 40.  Son apport est une vision poétique et grandiose, et certaines idées-clés assez originales.

Son séjour en Amérique en 1948 aurait été un tournant décisif dans sa radicalisation (en fait plus une confirmation qu'une révélation). Il en a rapporté une vision très noire de ce pays : racisme, matérialisme, goût du lucre, superficialité, promiscuité "bestiale" des deux sexes qui se mélangeaient "même dans les églises", mais aussi matchs de boxe brutaux, "mauvaises" coupes de cheveux, absence de goût artistique...

"la fille américaine connaît bien le pouvoir de séduction de son corps. Elle sait que ce pouvoir réside dans le visage, dans des yeux expressifs, des lèvres assoiffées. Elle sait que la séduction est dans les seins ronds, les fesses pleines, les belles hanches, les longues jambes -- et elle montre tout cela et ne le cache pas."
"L'Américain est primitif dans  son goût artistique [...] Le "jazz" est sa musique préférée. C'est cette musique que les noirs ont inventé pour satisfaire leurs inclinations primitives, leur désir de faire du bruit et d'exciter des tendances bestiales."

Il ne fut pas beaucoup plus indulgent envers le monde musulman qu'il jugea retourné à la barbarie pré-islamique.



Elements-clés dans son livre  Signes de piste :

Le monde musulman n'est plus musulman depuis des siècles, il ne suit plus la charia, il est retourné à la jahiliyya, le désordre pré-islamique. La majorité des "musulmans" sont en fait païens.

L'islam n'est pas simplement croyance, il est aussi obéissance. Le Coran n'est pas seulement, pas principalement un livre où on trouve la connaissance, il est Loi, il exige l'obéissance. Croire, c'est obéir. De même qu'un musulman ne doit pas adorer d'autre dieu que Dieu, ce qui ferait de lui un polythéiste, de même il doit obéir à Dieu et à Lui seul.

Par conséquent, on ne peut pas obéir à la fois à l'islam et à des institutions non-islamiques (Etats, parlements... On ne peut pas vivre à la fois dans l'islam et dans la culture non-islamique. Aucun compromis n'est possible entre l'islam et tout ce qui est non-musulman (la "poubelle occidentale"). La loi ne peut venir que de l'islam. Un dirigeant se disant musulman ne l'est pas s'il prétend appliquer des lois créées par l'homme.

Le djihad ne doit pas être seulement défensif, mais offensif. L'islam est universel, la charia est une loi de l'univers au même titre que les lois physiques. L'islam doit s'étendre à l'humanité. Alors tous seront égaux, il n'y aura pas de dirigeants et de dirigés, pas de juges et pas de police, car tous suivront la Loi de Dieu, par définition parfaite, applicable sans la moindre ambiguïté à toute situation humaine. Imposer l'islam, ce n'est donc pas une agression mais une libération, pour les non-musulmans comme pour les "musulmans". Qutb s'oppose à toute autorité non divine ; d'ailleurs, pour lui, chrétiens et juifs sont polythéistes puisqu'ils suivent l'autorité de leurs prêtres


Cette renaissance de l'islam ne sera pas le fait des masses désislamisées, mais d'un "noyau dur", une avant-garde comparable aux compagnons du Prophète. Ces militants seront caractérisés par leur rejet de toute culture non-musulmane, et par leur insistance sur l'obéissance au Coran (non pas objet de culture mais Loi). Ils doivent conserver le sentiment de leur supériorité et s'attendre à une vie de sacrifices : ne seront-ils pas récompensés dans l'au-delà ?



Beaucoup de musulmans traditionnalistes, y compris des salafistes, ont reproché à Sayyid Qutb la dangereuse innovation conceptuelle consistant à étendre le concept de "jahiliyya" aux musulmans "pas assez musulmans". Il s'agissait d'une boîte de Pandore qui a conduit les muslmans à s'excommunier (takfir) mutuellement. Exemple extrême, Abou Zeid a été excommunié en 1993 parce qu'il affirmait que le Coran était créé, et/ou parce qu'il critiquait les taxes spéciales imposées aux dhimmis dans la tradition islamique.


Sayyid Qutb a été comparé à Lénine, pour son insistance sur le pouvoir salvateur d'un petit groupe de rudes précurseurs, pionniers de la révolution mondiale. Sa vision comporte aussi beaucoup de points communs avec les totalitarismes fasciste et nazi : critique de l'Occident décadent et des institutions démocratiques, nostalgie d'un âge d'or, statut de victime et désignation de boucs émissaires (l'étranger, les juifs toujours affairés à leurs noirs complots), désir de purification par l'élimination des éléments étrangers ou impurs... Noter cependant son égalitarisme radical (à la fin de sa vie il était complètement détaché de l'arabisme).

mercredi 18 avril 2012

Prédicateurs égyptiens

Abdulhamid Kishk fut une star des années 70 et 80. Connu pour son humour acerbe, ce prêcheur aveugle attirait jusqu'à dix mille fidèles dans sa mosquée du Caire, dont les agrandissements successifs n'étaient jamais suffisants. Les médias officiels le boycottaient mais ses sermons, enregistrés sur cassettes, circulaient largement, jusqu'à Casablanca ou à Marseille. Il raillait contre la dictature militaire, contre la paix avec Israël, contre la complicité d'Al-Azhar avec le pouvoir. Lui-même était issu de la prestigieuse université. Il était fermement opposé à toute musique, satanique par essence. Il s'est également oposé à toute restriction de la polygamie. Emprisonné une première fois en 1965, il fut interdit de prédication après une deuxième arrestation en 1981.


Mohammed al-Ghâzali, prêcheur et légiste islamique égyptien, s'est en son temps attiré les foudres des wahhabis par son désir de contextualiser l'islam. Déplorant l'agressivité de certains salafistes, il était partisan de la douceur et de la compréhension pour amener ou ramener les individus à l'islam. En revanche, pour les apostats avérés, pas de pitié : « si le gouvernement peine à condamner les apostats, n'importe qui peut se charger de le faire », déclara-t-il dans une fatwa de 1992 à propos de l'assassinat de l'écrivain Farag Foda.



Youssef al-Qaradaoui, égyptien, proche des Frères Musulamns, est aujourd'hui la star inégalée du télévangélisme arabe avec 60 millions de téléspectateurs. En matière d'islam il est une autorité reconnue et mainte fois récompensée, récipiendaire du "prix Nobel saoudien" par exemple. Proche des Frères musulmans, il est fier d'avoir été l'élève du modéré Hassan al-Banna.

Pour lui, l'apostasie peut être punie de mort seulement si elle s'accompagne d'autres crimes, tels "l'incitation à la guerre contre l'islam". L'apostasie est un grave danger, les apostats sont généralement détestables, mais, tant qu'ils dissimulent leur apostasie, allant jusqu'à prétendre qu'il sont restés musulmans, on ne peut rien faire contre eux. (Voir cette fatwa.)

Concernant les droits des femmes, l'excision n'est pas obligatoire en islam. A tire personnel il recommande cette pratique, sauf dans les cas où elle nuirait à la femme physiquement ou psychologiquement.

Pour les homosexuels, la mort par lapidation. La tolérance a ses limites.

Al-Qaradaoui est favorable aux attentats-suicides, même si les victimes sont des femmes ou des enfants, mais seulement en Israël où tous les habitants sont des soldats, ou de futurs soldats, ou mères de futurs soldats. Les attentats ailleurs, par exemple au Qatar où il vit, le révoltent, et il les condamne fermement.

Il a propose une ''journée de colère'' suite aux caricatures danoises, mais s'est ému des violences survenues.

Il n'aime pas les chi'ites qu'il considère comme des hérétiques, mais a su faire cause commune avec eux sur les choses qui comptent : par exemple il a confirmé la fatwa de Khomeyni qui condamnait à mort Salman Rushdie.