jeudi 16 avril 2009

Un modéré

En Iran, le président et les députés sont élus, mais dans les faits seuls les candidats religieux sont autorisés. L'élection se déroule donc entre les ultraconservateurs religieux, les pragmatiques religieux, et les religieux modérés. Mohammed Khatami, ex-président d'Iran jusqu'en 2005, est un modéré.

"Je suis un enfant de la Révolution, vous savez. J'étais impliqué dès le début,avec l'ayatollah Khomeini. Nous savions qu'il y avait eu des changements dans le monde, dans les sciences et la technologie, et que nous ne pouvions pas ignorer ces choses. Et l'Iran avait aussi besoin de son indépendance. L'Iran a une grande civilisation. Nous, les intellectuels religieux, pensions que nous pouvions atteindre tout cela -- que nous pouvions atteindre la modernité et être islamistes aussi."

Il fait une pause, puis reprend : "Nous étions très différents de ceux qui veulent ramener le monde en arrière... Le destin de l'Islam dépend de cela : un Islam qui peut apporter le dialogue et la logique au lieu du terrorisme, et apporter une contribution réelle au monde. Je pense que c'est ce que les Iraniens veulent. Et je pense que c'est ce que l'imam Khomeyni voulait aussi."

Il considère que l'Iran pourrait avoir "la démocratie, les droits de l'homme, et toutes les libertés que nous voulons", mais seulement dans un "cadre moral" islamique.

Il affirme qu'en tant que président il a fait son possible pour améliorer les relations avec les Etats-Unis, et parle de son soutien discret à la campagne américaine pour renverser les Talibans en Afghanistan. "Et puis les néocons sont venus et ont tout détruit." Il a bon espoir de voir les relations irano-américaines s'améliorer si Obama prend ses distances avec les politiques de Bush et "réduit l'influence du lobby sioniste".

Un peu comme Gorbatchev, Khatami aurait voulu plus de liberté, mais dans le cadre du système existant. Prudent voire indécis, les mains liées par le pouvoir des religieux, il n'a pas été un président marquant ; il a déçu les réformateurs tout en se faisant haïr des conservateurs. L'élection d'Ahmadinedjad en 2005 a mis un frein aux espoirs de réformes qu'il avait suscités. Il ne sera pas candidat cette année.

Deux amis

Toujours raconté par Jon Lee Anderson du New Yorker : cet hiver, le président équatorien Rafael Correa, un protégé de Chavez, est venu à Téhéran signer un certain nombre d'accords commerciaux. A la cérémonie, Correa, un gros bonhomme, s'est largement étalé dans un sofa . Ahmadinedjad semblait maigrichon à côté de lui ; il portait un cardigan et un costume gris chiffonné. Il souriait aux mauvais moments, et semblait mal à l'aise, peu sûr de ce qu'il devait dire. Ils étaient comme le couple mal assorti d'un mariage arrangé. Correa a dit exactement ce qu'il faut dire quand on est un dirigeant étranger espérant obtenir des crédits financiers de l'Iran. "Nous considérons les Iraniens comme un peuple héroïque qui a su se débarrasser d'une dictature sanglante qui était soutenue par l'Occident. Cet exemple est une inspiration pour nous en Amérique latine." Apparemment enchanté, Ahmadinedjad s'est tourné vers Correa, l'embrassant, et s'est exclamé : "J'ai trouvé un nouvel ami, et je ne vais pas le perdre."

mercredi 15 avril 2009

Ahmadinedjad, l'Occident et les juifs

Lors d'une interview à New York avec des journalistes et des universitaires, peu après son acession à la présidence, Ahmadinedjad commence par réciter quelques vers du Coran, puis, sous le regard impassible de ses subordonnés les plus haut placés, il parle obscurément de "problèmes d'identité et de moralité en Europe", avant de conclure par une litanie de questions rhétoriques : "Quels sont les causes premières de nos problèmes ? Quelle est la solution ? Où mène la tendance actuelle ?" Voilà les sujets abordés par Ahmadinedjad ce matin-là.

Quelqu'un l'interroge sur les libertés intellectuelles et les média. "Vous savez, en Iran, la liberté est une liberté très privilégiée. Tout comme vous arrêteriez un homme pour infractions au code de la route, il doit y avoir des lois sociales... Nous devons devenir des êtres humains propres. L'homme doit continuer à avancer sur un chemin sublime." L'Iran est le pays qui exécute le plus de condamnés au monde, relativement à sa population. Le meurtre, le viol, l'apostasie, l'homosexualité et le trafic de drogue sont punis de mort.

Parlant de justice, il mentionne l'Holocauste et le tort fait aux Palestiniens à cause d'un crime commis en Europe. Sur l'Holocauste il ajoute : "Il faut clairement plus de recherche. Pourquoi ne peut-on pas faire plus d'investigation dans cette affaire ?" Concernant le onze-septembre il pense de même que toute la lumière n'a pas été faite. "Un incident connu comme le onze-septembre a eu lieu. On ne sait pas encore clairement qui l'a exécuté, qui a collaboré avec les auteurs, qui leur a préparé le terrain. L'événement a eu lieu, et, comme dans le cas de l'Holocauste, il a été scellé en refusant de permettre à des groupes de recherche objectifs de trouver la vérité."

Le conseiller qui a organisé par exemeple l'exposition "Holocauste ? Un mensonge sacré de l'Occident" a des vues plus nettes : ce sont les juifs qui ont organisé le 11-septembre pour nuire aux musulmans. Sur le bureau de ce conseiller on trouve une photo représentant des Juifs orthodoxes avec des légendes : "accapareurs", "suceurs de sang".

Un homme pieux

Le président iranien (décrit par Jon Lee Anderson du New Yorker) semble se complaire dans son rôle de provocateur, rejetant le "mythe" de l'Holocauste, appelant à en finir avec le "régime sioniste" d'Israel, se vantant des progrès faits dans le programme nucléaire iranien. A cinquante-deux ans, il est petit -- un mètre cinquante environ -- et très mince. Il porte une perpétuelle barbe de cinq jours, signe de piété. Ses yeux sont inhabituellement petits et noirs, comme des raisins secs, et profondément enfoncés. Devant de grands rassemblements, Ahmadinedjad est démagogique et sévère, un guerrier sans joie, pointant l'index et agitant les poings. Devant un groupe plus réduit, il projette une gaîté presque inappropriée. Il parle en boucles circulaires du bien et du mal, de l'Est et de l'Ouest, de Dieu et de l'homme, mais ses tortueuses improvisations, à la logique toujours insaisissable, donnent l'impression que ces sujets le dépassent largement.

Il est difficile de dire combien de pouvoir Ahmadinedjad détient réellement dans la structure complexe et opaque de l'Etat iranien, mariage contre nature d'une théocratie et d'une république. Personne n'est plus puissant que le Guide Suprême Ali Khamenei, qui est depuis vingt ans l'autorité religieuse et politique suprême ainsi que le commandant en chef des forces armées. Ahmadinedjad a besoin de l'approbation du Majlis, le parlement, pour passer des lois ; Khamenei peut émettre des fatwa.

Ahmadinedjad est issu d'une famille modeste ; ses parents ont quitté leur petite ville en bordure du désert pour venir habiter à Téhéran, dans un quartier populaire, quand il était enfant. Etudiant en sciences dans les années 70, plutôt sage et conservateur, il s'abstenait de fumer du hashish et de courir après les filles. Séduit par le retour à l'islam, il a en horreur la "crapulence du clan débauché du Shah", dont il juge les excès luxueux responsables de la pauvreté des Iraniens. "Le traître Shah et son clan essayaient d'abolir la foi islamique et les motivations révolutionnaires parmi les étudiants en propageant l'immoralité, la promiscuité et la perversion."

D'abord séduit par Ali Shariati, intellectuel mêlant l'islam au marxisme et à l'anticolonialisme, le jeune Ahmadinedjad devient ensuite un admirateur de Khomeini. Dans son blog présidentiel, il raconte : "Plus je devenais familier avec ses pensées et sa philosophie, plus j'avais d'affection pour ce dirigeant divin, et sa séparation et son absence m'étaient intolérables." A la Révolution, Ahmadinedjad devient un Bassidj, membre d'une force paramilitaire composée de volontaires. Plus tard, il a alterné postes administratifs et enseignement au sein d'une Université purgée par Khomeini de ses "influences occidentales et non-islamiques". A l'université, il est très actif dans l'organisation des Bassidj ; il cause des problèmes aux professeurs et vient en classe avec un keffieh pour montrer sa solidarité avec la cause palestinienne.

Nommé maire de Téhéran en 2003 par un conseil municipal ultraconservateur, élu président de la République islamique en 2005 après avoir été coopté candidat par les poids lourds du pouvoir clérical, il manifeste une simplicité ostentatoire (on raconte qu'il refuse de toucher son salaire de maire, d'habiter son logement de fonction, qu'il a une fois ramassé les poubelles lui-même dans la rue), distribue petites sommes d'argent à la population, promet subventions et emplois. Président, il promet de rendre à l'Iran sa "juste place" dans le monde.

Ahmadinedjad est un mahdiste fervent. Dans la tradition chi'ite, le douzième Imam, ou Mahdi, a disparu au neuvième siècle, caché par Dieu. Son retour, avec Jésus Christ, amènera un paradis sur terre. Cela explique les allusions d'Ahmadinedjad au "promis" et à l' "homme parfait". Un politicien irakien raconte qu'une fois au cours d'une rencontre Ahmadinedjad n'a guère parlé d'autre chose que du Mahdi. La rumeur raconte que le président a des plans pour une super-autoroute et un point de réception à Téhéran, en prévision de l'arrivée du Mahdi.