samedi 24 janvier 2009

Achoura

L'Achoura, célébration du martyre d'Hussein par les chi'ites :

http://www.lemonde.fr/proche-orient/portfolio/2009/01/07/les-chiites-celebrent-l-achoura_1138724_3218.html

jeudi 8 janvier 2009

Le Zimbabwe vu par ses dirigeants

Neveu du président, Leo Mugabe dirige un réseau de téléphone mobile, l'entreprise importatrice d'armements destinés à l'armée, une grosse ferme confisquée aux blancs... Le New Yorker l'a interviewé. Grosse voiture, secrétaire en mini-jupe, il fait preuve d'un optimisme en béton.

A propos des violences politiques :
"Avez-vous vu quelqu'un se faire battre depuis que vous êtes ici ? Il y a eu moins de violence ici qu'au Nigéria ! Et nous savons tous pourquoi la violence au Zimbabwe est exagérée -- c'est à cause de la richesse du pays. Nous avons certaines ressources ici, comme le nickel, l'or, le platinum. Je pense que les Zimbabwéens comprennent maintenant qu'ils souffrent à cause des sanctions imposées par les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et l'Europe."
Mais tout va bien. Son oncle a distribué des ordinateurs dans les écoles rurales :
"Dans quelques années, le Zimbabwe rural saura se servir des ordinateurs. Nous sommes une nation en mouvement, et ces enfants sauront ce que signifie l' empowerment [avoir le pouvoir sur sa vie]."
Cette semaine-là, l'inflation officielle au Zimbabwe dépassait les 11 millions pour cent. 80% des Zimbabwéens étaient sans emploi. La malnutrition chronique régnait ; la famine se répandait dans les campagnes. Deux millions de Zimbabwéens [sur 13 millions] dépendaient d'agences internationales pour leur nourriture. 20% de la population porte le virus du SIDA. L'espérance de vie est de 44 ans.
"Les gens vaquent à leurs affaires. Personne n'est en train de mourir de faim : ils conduisent de belles voitures ! En tant que chrétien, cependant, je pense que c'est une épreuve de Dieu, et l'attention dont fait l'objet le Zimbabwe est peut-être pour souligner que nous sommes le nouveau peuple d'Israël, et que nous avons notre propre Moïse."
Sur l'expropriation des fermiers blancs dans les années 2000, Leo Mugabe n'a aucun regret :
"Nous avons pris la terre. Donc, quelle est la prochaine étape ? La prochaine étape c'est les mines, les minéraux. Nous savons que nous sommes très riches, sans les Britanniques ou les Américains. Oui, ils ont investi, mais si nous avons à le faire nous prendrons les mines aussi."
N'a-t-il pas peur que le Zimbabwe soit ostracisé par la communauté internationale ?
"Nous avons aussi invité d'autres pays riches et puissants -- les Russes et les Chinois et les Indiens aussi. Les Américains et les Brits ne veulent pas s'asseoir à la table des négociations, mais ces gens-là veulent traiter avec nous, eux."
La découverte de diamants dans l'est du pays confirme Leo Zimbabwe dans son idée qu'il y a
"... quelque chose d'unique dans ce moment, dans ce pays."

dimanche 4 janvier 2009

Soufismes - 3

L'islamisation du sous-continent indien a commencé au XIIIè siècle, peu après la conquète de Delhi par une armée d'Afghans de langue persane. Une puissante confrérie soufie, celle de Chisti, s'est alors répandue dans toute l'Inde du Nord. Les disciples de Chisti, pèlerins et poètes, pratiquaient la pauvreté, rejetaient leurs familles et méprisaient les puissants. "Pourquoi dois-tu entrer dans les demeures des émirs et des sultans ? Tu marches dans les pas de Satan !" Sous leur influence, des hindous des basses castes se sont convertis à l'Islam pour échapper à leur naissance. Les femmes, partout très présentes dans le soufisme, étaient également bienvenues. Surtout, les Chisti acceptaient des non-musulmans comme initiés. Cela a donné le ton d'une cohabitation étonnamment harmonieuse entre musulmans et hindous dans le sous-continent ; celle-ci continue aujourd'hui, même si elle est durement mise à l'épreuve.

Musulmans et hindous, sunnites et chiites, adorent le même saint dans le même sanctuaire. Qalandar n'appartenait pas vraiment à un ordre, mais à la tradition des soufis excentriques, vivant de mendicité. Il était fortement influencé par l'hindouisme ; beaucoup d'hindous le considèrent comme la manifestation de Shiva. C'est un hindou qui ouvre la fête annuelle de l'urs. Pendant la fête beaucoup de fidèles apportent au tombeau des pots de terre contenant du henné, comme pour une épousée hindoue pour sa nuit de noce, et se l'appliquent en invoquant le dieu hindou de l'eau.

Comme le syncrétisme, l'hérésie a pignon sur rue : un derviche crie "Ali Allah ! Allah Ali !" -- Ali est Dieu, Dieu est Ali. Cet épouvantable blasphème lui coûterait sa tête ailleurs, mais à Sehwan personne ne semble être dérangé.

[L'Inde (sans Pakistan et Bangladesh) a aujourd'hui la troisième population musulmane au monde, plus de 150 millions, soit 13%. Spontanément et sans hésitation, un de mes collègues musulmans indiens aux US me disait qu'il se sentait plus libre dans son pays.]

Jadis, en Afghanistan, la tribu des Afridi n'avait aucun sanctuaire à vénérer. Ils incitèrent donc un saint notoirement pieux à venir habiter parmi eux. Puis ils lui tranchèrent la gorge, l'enterrèrent, et lui érigèrent un magnifique sanctuaire. Aujourd'hui cependant, les Talibans ont tendance à considérer le soufisme comme une idolâtrie. En Arabie éoudite, patrie du premier soufi (Mohammed bien sûr), les wahhabis ont détruit de nombreux vieux tombeaux de saints.

Tout cela ne fera pas automatiquement des soufis des alliés de l'Occident. Les gouvernements occidentaux sont un épouvantail pour la population. Le soufisme n'est pas uniforme. Des soufis d'une école conservatrice ont répandu le jihad, par exemple en Irak ; d'autres ont cependant été découragés par l'hostilité des fondamentalistes envers les saints soufis, et ont déserté. "Personne n'a le droit de dénigrer nos honorés saints de Dieu", affirme l'un d'eux, revenu d'Afghanistan après quatre mois chez les Taliban.

Pendant l'urs de Qalandar, on peut voir une armée d'hommes et de garçons, dénudés jusqu'à la taille, se frapper la poitrine en chantant un hymne funéraire au martyr chiite Hussein, tombé à Kerbala, ou se flageller jusqu'au sang avec des chaînes munies de lames de couteaux en criant le nom d'Ali, père de Hussein. Les autres pèlerins reculent ; certains semblent dégoûtés. Qalandar était chiite ; beaucoup de ses fidèles sont sunnites. Mais les tombeaux du Sindh, où vivent beaucoup de chiites, voient de plus en plus de manifestations sectaires comme celle-ci, signes d'une détresse face aux attaques de fondamentalistes comme les Talibans.

Les mystiques soufis, qu'ils soient orthodoxes ou populaires, subissent les assauts croissants des mollahs, amis des Talibans. Mais les rassemblements massifs dans les grands sanctuaires pakistanais suggèrent qu'ils ne disparaîtront pas de sitôt.

vendredi 2 janvier 2009

Soufismes - 2

Pour les soufis orthodoxes, tout cela est absurde. Le mysticisme islamique est un chemin strictement délimité vers la connaissance de soi. Le "vrai" soufi cherche à atteindre cet état par de rigoureuses disciplines, en particulier le dhikr, le souvenir de Dieu, par la récitation ou la méditation sur son nom. A travers la connaissance de soi, le mystique s'efforce d'atteindre la connaissance de Dieu Lui-même.

L'histoire est semée de conflits entre les mollahs (juristes islamiques) et les soufis. Les mollahs exigent l'obéissance ; les soufis tendent à insister sur la tolérance. Dans leur poésie, dont la lecture fait frémir les mollahs, les soufis représentent souvent le type d'extase qu'ils recherchent dans le langage de l'amour physique et de l'ivresse. "Je n'ai pas d'autre souci que l'ivresse et l'extase", a écrit Roumi, le plus grand poète du soufisme, que les disciples, l'ordre turc des Mawlawi, commémorent par une dance tournoyante qui est devenue en occident synonyme de tout le soufisme.

Cependant, les soufis orthodoxes sont aussi des musulmans respectueux de la loi. "Le soufisme est l'islam, l'islam est le soufisme." Dans l'islam orthodoxe les limites de la sainteté sont strictement prescrites. Des saints musulmans morts ne peuvent intercéder envers Dieu ou accomplir des miracles. Si des musulmans prient sur leurs tombeaux, ce ne peut être que pour la salvation du mort. Ils ne peuvent pas lui adresser leurs prières, ce serait de l'idolâtrie, shirk.

Il est remarquable à quel point le soufisme populaire s'écarte du soufisme orthodoxe. A Delhi ou à Lahore, les "vrais" soufis rejettent le soufisme populaire. L'un affirme qu'un vrai soufi doit connaître l'islam, aimer Dieu et être saint d'esprit ; mais les soufis du tombeau de Qalandar sont clairement fous. Un autre trouve que c'est de la superstition pas bien méchante. "Je me sens en sécurité parmi des occultistes creux. Je ne me sens pas en sécurité parmi des littéralistes."

jeudi 1 janvier 2009

Soufismes - 1

"Normalement nous ne pouvons pas connaître Dieu. Mais nos saints, ils ont cette connaissance."
Le soufisme populaire, mêlant le mysticisme islamique classique à l'hindouisme et aux croyances populaires, est un aspect majeur de l'islam dans le sous-continent indien.

Le sévère légalisme des Taliban et d'autres fondamentalistes y sont dans une phase ascendante, mais seule une minorité les suit. La plupart des 450 millions de musulmans au Pakistan, en Inde et au Bangladesh -- presque un tiers du monde islamique -- pratiquent une foi plus tempérée, plus tolérante, encore teintée superstitions pré-islamiques. Cette foi est fortement influencée par le soufisme, une tradition musulmane ésotérique et (théoriquement) non sectaire, suivie strictement par un nombre beaucoup plus réduit d'initiés. Dans sa forme populaire, le soufisme s'exprime principalement par la vénération des saints, y compris des mystiques autoproclamés, canonisés par leurs disciples.

Des monuments grands et petits sont érigés autour des tombeaux des saints. L'essence divine du saint, ou baraka, émane de sa tombe. "Physiqument, nos saints meurent. Mais l'esprit est toujours ici, parce qu'ils ont atteint l'éternité." Pour chaque grande tombe attirant une masse de pèlerins, il y a des milliers de petits sanctuaires, au bord des routes, dans les rues de Delhi, ou dans les déserts du Sindh. Par exemple telle petite tombe à l'entrée d'une ville, une cabane dont la gardienne conseille aux automobilistes de donner un peu d'argent pour s'attirer les faveurs du saint (qui selon elle lutte avec l'Indus pour l'empêcher de changer de cours, mais peut aussi provoquer des accidents de la route s'il est en colère).

A Sehwan Sharif, au tombeau de Qalandar, un des saints pakistanais les plus connus, a lieu chaque année une fête à laquelle assistent des centaines de milliers de fidèles, pour l'anniversaire de la mort du saint. Cet événementest appelé l'urs ou nuit de noces de Qalandar, c'est-à-dire son union avec Dieu : trois jours d'une orgie de musique, de dance et d'ivresse, littéralement et spirituellement. Devant le tombeau de Qalandar, les pèlerins s'excitent jusqu'à l'extase. Secouant leurs longs cheveux noirs, une douzaine de prostituées de Karachi ou Lahore ont une place réservée près de la porte dorée du tombeau ; elles dancent une jigue furieuse, le dhammal, faite de sauts rhytmiques d'un pied sur l'autre, typique des fidèles de Qalandar. Des centaines de gens dancent sur un lourd rythme de tambour. L'air est chaud et humide de sueur, adouci par une senteur de pétales de rose et de hachich. De nombreux paysans amènent en offrande au saint un linceul magnifiquement brodé par une épouse ou une mère ; ils prient le saint de leur accorder une bonne récolte, ou un enfant. Pour les fakirs de Qalandar, souvent vagabonds à plein temps, l'urs est une occasion fantastique pour manger, dancer et fumer de la dogue. Les sanctuaires soufis attirent aussi les prostituées, y compris des transexuels, non seulement à cause de la tolérance du soufisme face aux pécheurs, mais aussi parce que c'est un bon endroit pour pécher.

Le gardien du sanctuaire de Qalandar est franc quant à ses responsabilités : "Guider les gens et gagner de l'argent." Favorisés par les Moghols et les Britanniques, les gardiens de sanctuaires, en particulier ceux qui se disent descendants de saints, sont encore parmi les plus grands propriétaires terriens (malgré les nationalisations depuis les années 60). Leur influence politique est importante aussi.

Ce titre héréditaire est l'occasion de nombreuses querelles. Plusieurs douzaines de familles de la ville affirment être les vrais gardiens du sanctuaire. L'un des prétendants a établi sa boutique non loin du sanctuaire. Quand cet homme barbu et chargé d'amulettes entre dans la petite pièce, les fidèles se jettent à ses pieds. Grommelant, frappant à l'occasion un pèlerin qui lui écrase les orteils, il dispense ses bénédictions parmi eux. "Dieu t'aidera", grogne-t-il, distribuant des petits fils de coton bénis à l'avance, ou un bout de papier sur lequel sont grifonnés des versets coraniques.

Soufisme

Dans son édition de Noël, The Economist a publié un merveilleux article sur le soufisme dans le sous-continent indien. J'en ferai une petite synthèse.

Voir l'article pour les saveurs, les odeurs, les chants et danses, la chèvre teinte en rose offerte au saint, la barbe orange du vieux vagabond...